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Le manoir de Kimberley

Lorsque Rosemonde revint au manoir de Kimberley, à la mort de son père, elle eut du mal à reconnaitre la maison de son enfance.

Cette bâtisse imposante, noyée dans une végétation luxuriante, ne révélait rien de la date de sa construction.

Ses vieilles pierres recouvertes de lierre, laissaient deviner qu'elle avait appartenu à une famille aisée, car construite avec beaucoup de rigueur et de goût.

Des fenêtres, on apercevait des pièces immenses, et notamment, ce qui avait été une salle de réception, avec la présence d'une cheminée, noircie par les ans. C’était même à propos de cette cheminée noircie par un grand nombre de gibier qui y avait longuement grillé et mijoté, qu'on racontait qu'un bœuf entier y aurait été cuit ! C’était dire le gigantisme de cet ouvrage avec des sculptures naïves qui représentaient différentes espèces animales, dont Alexander, le propriétaire des lieux, était friand.

Elle en avait vu passer du beau monde cette cheminée, car Alexander, enfin plus exactement Sir Alexander, recevait beaucoup en son manoir de Kimberley.

Les aristocrates anglais aimaient à s'y retrouver pour quelques jours loin de leur quotidien londonien, certains prétextant le retour à la nature, d'autres, le plaisir de la chasse et tous, l'occasion de s'encanailler un peu.

Sir Alexander aimait expliquer à ses hôtes sa généalogie riche en hommes célèbres et leur faire visiter la galerie de ces ancêtres, dont le peintre Turner, qui y figurait en bonne place. En ces instants, Sir Alexander imaginait-il qu'un jour, sa ravissante et frêle fillette blonde aux joues rosies par le froid, devrait, en compagnie de son époux, quitter leur cher Royaume-Uni pour le soleil brûlant de l'Afrique ?

En effet, en grandissant, la fille de Sir Alexander, Rosemonde, en avait eu assez de ce manoir sinistre, dont la cheminée noire de la grande salle de réception lui faisait penser à une bouche d'ogre. De même, les sempiternelles descriptions de la galerie des ancêtres l'agaçaient !

Elle rêvait de terres inconnues, de voyages, de découvertes, et c'est l'Afrique, aux visages et traditions multiples, que son mari, rencontré lors d'une garden-party, lui avait fait découvrir. Son mariage, sans grand élan d'amour, avait été pour elle l'occasion du départ.

Sa rencontre avec Jonathan fut comme une décharge électrique.

Il était noir, et alors ! Il était beau ! Amoureuse, elle ne se souciait aucunement des conséquences.

Quelques années après leur installation en Afrique, le mari de Rosemonde, plus âgé qu'elle et affaibli par le paludisme, fut emporté par une crise plus violente que les autres.

La jeune femme se retrouva à la tête de la plantation. Elle n'avait que peu d'expérience de la gestion du domaine, mais elle s'y attela avec énergie.

Elle s'intégra, par ailleurs, dans un groupe de jeunes colons, dont elle découvrit les penchants humanistes qu'elle partageait. L'évolution de leur micro-société était en route, les idées allaient évoluer. Elle allait enfin pouvoir vivre son amour pour Jonathan, cet ancien esclave affranchi, qui s'était installé en ville en homme libre et respecté.

Jusqu'à ce meurtre insensé et inexpliqué qui avait à nouveau cristallisé les tensions entre les deux communautés.

"Mary T., épouse de Richard T. Fermier à Ngessi, a été trouvée assassinée hier matin, dans la véranda sur le devant de la maison. Le domestique, qui a été arrêté, avoue être l'auteur du crime dont les mobiles n'ont pas été découverts. On présume que le meurtrier a agi poussé par la cupidité." Daily News du 7 octobre 1907.

C'est alors qu'une missive en provenance du Royaume Uni lui parvint pour lui annoncer le décès de son cher père, Sir Alexander.

Seule héritière du clan Turner, elle dut se résoudre à rejoindre pour un temps son pays d'origine afin de liquider ses affaires.

Elle reviendrait vite en Afrique. Sa vie désormais était ici, malgré tout.

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