Une quête brisée
- CMT

- 21 avr. 2017
- 5 min de lecture
Un jour d’octobre qui ressemblait à tous les autres avec son lot de pluie et de froidure ; pourtant ce jour-là, Mary rêvait et elle reconnaissait ce sentiment qui s’emparait d’elle quelquefois, cette lueur qui lui faisait entrevoir un futur tel qu’elle le voulait.
Elle songeait à cette fête d’anniversaire que lui avait promis sa mère ; quinze ans c’était important ; elle, elle aurait voulu une fête grandiose avec bal, buffet interminable, révérences et princes charmants, beau monde et belles manières.
Sa mère avait mis un terme à toutes ces extravagances.
Nous n’avons pas les moyens ma fille, il s’agit d’être raisonnable !
Mary en avait assez de ces limites, de cette Angleterre engourdie dans sa bruine, dans sa grisaille ; elle voulait vivre mais pas chichement, elle avait envie d’être dans une belle maison, entourée d’un bataillon de domestiques, femmes de chambre et majordomes, elle s’imaginait riche de tout.
Mais pour cela il lui faudrait attendre la majorité et surtout l’homme qui la conduirait vers son idéal.
Durant les quelques années qui la séparaient de sa liberté, Mary n’avait eu de cesse de tout mettre en œuvre pour parfaire son avenir ; elle n’avait rien laissé au hasard, avait réussi à s’introduire dans les milieux huppés de la ville, avait lié des amitiés dans les sphères bourgeoises qui ne se privaient de rien et un jour son travail acharné porta ses fruits.
Lors d’un dîner chez une de ses amies elle fit la connaissance d’un homme qui vivait en Afrique ; certes c’était un fermier mais riche à ce qu’on lui avait rapporté. Il avait des terres, des ouvriers, des serviteurs. Plus âgé que Mary, un physique commun, sans grâce ni élégance. Rien de tout cela n'importait. Il était gentil et allait lui permettre de mener à bien son projet. Elle-même n’était pas véritablement jolie mais elle avait dans les yeux un feu qui attirait, peut-être la flamme de la détermination.
Bien sûr il faudrait partir très loin, dans un autre pays mais ne détestait-elle pas l’Angleterre ?
Le mariage se décida rapidement, le futur mari n’avait pas de famille et n’aimait pas les fastes inutiles ; cependant Mary ne transigea ni sur la robe, somptueuse, ni sur le buffet.
Richard ne pouvait s’attarder longtemps, ses affaires ne le permettaient pas, le couple embarqua donc pour ce continent qui allait permettre à la jeune mariée de satisfaire son rêve.
Les premières années avaient apporté à Mary ce qu’elle attendait. Elle avait transformé la grande ferme en une belle demeure cossue où elle aimait recevoir tous les colons de la région. Au début, il y avait eu une certaine méfiance à l’égard de cette femme arrivée brutalement dans le cercle très fermé de la communauté blanche. L’opiniâtreté de Mary avait fait tomber toutes les barrières.
Au début Richard était réticent, son naturel austère ne le portait pas vers ce genre de distractions. La volonté sans faille de sa femme l’avait fait dériver dans ce milieu qui lui était presque étranger ; finalement il s’y était habitué et même quelquefois y prenait du plaisir. D’autant plus qu’un enfant était né, il était sa joie et son espoir et au fil du temps il s’était attaché à cette femme qu’il trouvait futile mais qui était devenu son pilier.
Mary avait continué dans sa quête de la possession, elle en voulait davantage, sans trêve ; toilettes, bijoux, meubles, objets, toujours plus beaux, brillants, ostentatoires. Sans relâche, elle avait poursuivi ses desseins.
Richard acceptait, il avait les moyens et son petit Edward le comblait. C’était un enfant qui grandissait joyeusement et qui s’adaptait facilement. Il était élevé par les domestiques, sa mère ayant d’autres préoccupations, mais dès que son père rentrait, il s’en occupait en jouant, en lui enseignant le monde qui les entourait.
Quant à Mary elle s’était donné le rôle de commander, de contrôler, de décider. Elle était exigeante, soucieuse du détail jusqu’à l’obsession, elle devint la hantise du personnel qu’elle terrorisait afin que tout paraisse toujours parfait.
Que veux-tu Richard, si je n’ai pas l’œil sur eux, le travail est mal fait !
Un jour Richard engagea deux domestiques noirs, un couple ; le mari, Kumba était de haute taille, robuste. Il servirait de factotum, la propriété était immense et nécessitait des bras jeunes et forts. La femme, Jiya, imposa dès son entrée sa silhouette élégante et son allure fière. Elle était avenante et souriante, Richard décida qu’elle s’occuperait très bien d’Edward.
Cela déplut à Mary, cependant elle n’osa pas contrarier son époux qui se montrait faible avec elle mais qui ne manquait pas de fermeté lorsqu’il s’agissait de leur fils.
Contrainte, elle accepta la nouvelle situation.
Les jours qui suivirent, Mary assista au cheminement des liens qui se créaient entre Jiya et Edward ; elle savait s’en occuper, avait la prescience de ses besoins, de ses souhaits et de son bonheur. Elle devenait essentielle à la vie d’Edward.
Mary en éprouva de la jalousie, presque de la haine.
Il fallait qu’elle mette un terme à tout cela.
Un étrange phénomène, nouveau pour elle, avait pourtant commencé à se mettre en place les après-midi où la chaleur ne laissait pas de trêve, où elle n’avait d’autres options que le repos dans un fauteuil de la fraîche véranda.
Elle songeait alors à son parcours et ces rares moments de lucidité lui renvoyaient son reflet. Elle repensait à cette jeune fille qui espérait tant des années à venir ; elle n’avait pas toujours été ainsi, cupide, insatisfaite, une acharnée de l’enrichissement, un être retiré des autres, ce qui n’était pas elle lui étant devenu étranger.
Dans ces moments- là elle était terrifiée. Sa résolution inébranlable lui interdisait de céder, du moins pas encore.
Mary travailla donc d’arrache-pied, en experte, à humilier Jiya, à lui donner des ordres contradictoires, à l’appeler et la renvoyer aussitôt, à lui imposer des tâches impossibles à réaliser. Tout ce qui pouvait l’éloigner d’Edward était son allié.
De temps en temps, elle croisait Kumba, et son regard soutenu lui signifiait qu’il avait compris. Que lui importait ce domestique, il n’avait aucun droit, lui aussi devait obéir !
Edward dans la candeur et la sincérité de ses jeunes années ne comprenait pas ce qui se tissait et était sans cesse en recherche de Jiya.
C’en était trop, il fallait éloigner cette femme de la ferme !
Un soir, Richard était rentré plus tôt ; comme à son habitude, il jouait avec Edward dans le grand salon. Elle demanda à lui parler ; Richard laissa l’enfant à Jiya ; Mary et lui allèrent dans la véranda.
Elle lui expliqua que ce n’était plus tenable, que cette Jiya ne pouvait plus rester dans la maison, elle avait une mauvaise influence sur Edward, lui enseignait des manières inconvenantes, le négligeait. Elle ajouta ,oh elle ne voulait pas lui dire… Elle l’avait surprise dans leur chambre à regarder les bijoux laissés sur la commode…
Elle insista, ne laissa à Richard aucun espace pour répondre ; de guerre lasse, il accepta.
Kumba, occupé à nettoyer l’allée en contrebas de la véranda entendit la conversation et n’en crut pas ses oreilles. L’effroi et la colère lui envahirent l’esprit. Salir sa Jiya, elle qui était l’honnêteté même, la rabaisser, la dévaloriser, il ne le permettrait pas. Dès le début il avait senti le danger, cette malfaisante il ne l’avait jamais aimée ; autoritaire, dure, goulue, jamais satisfaite. Monsieur n’était pas pareil, il était bon, il les appréciait Jiya et lui, il lui avait confié son fils.
Demain il irait la voir, essaierait de lui parler, de faire la revenir sur toute cette injustice. Il savait qu’à ses yeux il n’était rien mais Jiya n’avait que lui.
Le lendemain lorsque Kumba se présenta devant Mary et lui demanda humblement de repenser sa décision, elle se mit à crier, à vociférer. De quel droit venait-il l’importuner dans la maison ? Qui était-il pour oser lui présenter pareille requête ? Connaissait-il sa place ? Sa voix devenait de plus en plus stridente, telle une scie qui s’enfonçait en lui. Elle hurlait comme une démente. Un voile rouge tomba devant les yeux de Kumba. Le pistolet de Richard était sur la desserte, oublié là, sans doute dans sa précipitation à sortir du dilemme où l’avait plongé Mary. Kumba allongea le bras, prit l’arme, tira, les cris s’arrêtèrent.




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