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Noël au château de Mortelune


En cette nuit de Noël, sous une neige dansante, perché sur la plus haute des collines, le château de Figue Douce, s'anime. Derrière les fenêtres illuminées, des ombres mouvantes se profilent. Un bataillon de domestiques s'activent à la préparation d'un grand évènement.

Rien ne doit être laissé au hasard car toute l'aristocratie alentour a répondu favorablement à ce carton d'invitation :


Merlin et Mélusine de Mortelune

Vous invitent à partager

Une veillée de Noël inoubliable

Une soirée médiévale

Le vendredi 24 décembre

Dès 20heures

En leur Château de Figue Douce


Déjà, des berlines s'immobilisent sur la place ménagée devant le château et déposent les premiers invités : Edgar et Edmonde de Latour du Pin ; leur emboîtant le pas, Aldaric et Aliénor d'Aiguevive ; puis Eudes et Astrid de Courtelande. Trois couples de châtelains voisins et amis.

Bien d'autres suivront :

Ceux, curieux de découvrir la demeure qui, dit-on, a été magnifiquement restaurée.

Ceux, amateurs de bonne chère.

Ceux enfin, appâtés par le bruit qui court, des lieues à la ronde, que la soirée devrait être enchantée…



Tout emmitouflés, ces visiteurs du soir foulent les larges dalles enneigées du perron.

Face à eux, la majestueuse arcade sur laquelle un ciseau habile a sculpté les armoiries des De Mortelune : "Une licorne surgissant entre deux croissants de lune".

Comme pour les accueillir, pivotant lentement sur leurs gonds, les vantaux de la porte de chêne, aux ferrures en fleurs de lys, s'entrouvrent sur le porche.

Un porche à voûte ogivale tout illuminé :

Des photophores, il y en a partout ! Du sol au plafond. Dans chaque anfractuosité de la roche. Le vacillement de leur clarté, par les effets de clairs-obscurs, jette ça et là comme un voile de mystère.


Là, dans une ambiance féérique, une nuée de domestiques, en tenue stylée, s'empressent d'accueillir les arrivants puis les accompagnent jusqu'au pied d'un bel escalier de pierre conduisant à la salle d'apparat.

Sitôt le premier palier atteint, les invités découvrent, émerveillés, une vaste pièce, aux beaux volumes, aux poutres massives sculptées.

Il règne en ce lieu une douce atmosphère.



Deux imposantes cheminées se font pendant d'un côté à l'autre de la salle ; dans leur âtre, des langues de feu jaunes, rouges, orangées trépignent au son du crépitement des bûches et lèchent allègrement les courbes douces d'énormes chaudrons de cuivre pendus au bout de chaque crémaillère.

Des cuisiniers en tunique et coiffe de toile écrue s'activent près des foyers. Toute la soirée durant, ils veilleront à leur poste. Les chaudrons ne devront jamais être vides !

Équipés d'énormes cuillères de bois, ils remuent le breuvage bouillonnant et odorant.


Nul ne sait ce qui chante là, mais dans l'air flotte déjà des arômes d'épices, de miel, de pommes mûres mêlés à d'autres essences, délicates, indéfinissables, mais qui mine de rien en troublent déjà plus d'un…


À présent, dans la salle, l'assistance est presque au complet. Une centaine de convives, voire plus.

Dans un joyeux brouhaha, mêlé de rires et de conversations, ils vont, viennent, se croisent.

Certains se congratulent, heureux de se retrouver là. D'autres font connaissance et engagent la conversation.


Aliénor, Astrid et Edmonde, elles, s'attardent et devisent devant les tapisseries murales qui ouvrées de soie et de fils d'or, témoignent du goût des châtelains pour les arts. Et pour les licornes !

Leurs époux, grands amateurs de chasse, préfèrent s'extasier, devant les trophées ; hypnotisés par ces deux têtes de cerfs qui épanouissent leurs bois au dessus de chaque cheminée…


Une demi-heure, peut-être plus, vient de s'écouler.

A présent, les invités, chacun sa petite chope à la main, les pommettes rouges et l'œil brillant, déambulent.

Tous hument, d'un air inspiré, ce fameux élixir aux senteurs mystérieuses, à la belle couleur ambrée qui illumine leur verre et les rend si heureux.

Tous goûtent par petites lampées ce breuvage à la saveur douce et parfumée qui leur laisse en bouche un subtil goût d'inconnu.

On émet des hypothèses mais, en fin de compte, on ne saurait dire exactement quel est ce petit "je ne sais quoi" qui provoque ce bien-être et cette griserie collective.


Parmi la foule des invités, une longue dame brune - moulée dans un fourreau rouge carmin orné d'hermine, coiffée d'un hennin à l'interminable voile écarlate - ne passe pas inaperçue !


À peine vient-elle de croiser le cercle d'amis. Aux lèvres un sourire énigmatique et doux. De toute sa hauteur, elle les salue :


Dame Noël ! Pour vous charmer ce soir…lance-t-elle sur un ton enjoué puis elle poursuit… Je me présente : Noëlle de Noblecour, pharmacienne, chercheuse, spécialisée en herboristerie… Je suis une amie de longue date des châtelains. Cette demeure a été celle de leurs ancêtres de la lignée des De Mortelune. Lors des travaux de restauration, ils ont découvert, dans des caches du château, des grimoires du Haut Moyen Âge. Des ouvrages précieux parce que rares, et prestigieux par leur thématique. Des manuscrits recélant des recettes oubliées aux effets surprenants… Les maîtres des lieux, Merlin et Mélusine, m'ont contactée pour en remettre quelques unes en pratique…

Et, sur le ton de la confidence, elle poursuit :

Vous n'êtes sans doute pas au courant, mais ce soir nos hôtes nous réservent une surprise après le dîner… ce que je peux vous dire, c'est que nous ne serons pas de simples spectateurs…Surtout ne vous privez pas de butiner le nectar que j'ai concocté tout spécialement pour cette nuit de Noël…


Mais les préoccupations d'Edgar dont les papilles depuis un moment s'affolent sont autres. Il glisse dans l'oreille de son épouse:

Cette personne doit être une intime des châtelains, ne croyez vous pas ? [En temps normal, Edmonde, collet monté, l'aurait houspillé, mais ce soir elle aussi a les yeux qui brillent…]

Sans même attendre sa réponse, complètement désinhibé, lui d'habitude, si réservé, s'adressant à Dame Noël, il ose :

Et vous savez peut-être ce qui est prévu au menu ?

— Oh des petites choses très festives, toutes cuites à point et dorées lentement à la broche dans la cuisine du château… Vous ne serez pas déçu.

Mais ce n'est pas tout… Je ne vous en dis pas plus… vous découvrirez par vous-même…

Et elle s'éloigne, laissant les six amis ébahis.

Aliénor d'Aiguevive, qui ce soir n'a pas la langue dans sa poche, laisse échapper :

Eh ! Dites, et si cette personne était une fée ? Regardez comme elle est belle… Et quelle allure ! Quelle classe ! Voyez comme elle folâtre…

—Et puis elle est très mystérieuse…et si c'était une magicienne, suggère Edmonde

Non plutôt une sorcière sous des apparences de fée… La Fée Rouge ! Tranche Astrid de Courtelande, et elle poursuit :

Vous savez, au Moyen Âge, les sorcières étaient des femmes qui connaissaient les secrets de la nature et des plantes. Tenez par exemple : La Mandragore…c'est une plante magique, mystérieuse aux pouvoirs extraordinaires. On disait dans les temps que cette sorte de tubercule anthropomorphe était censée abriter un génie, elle permettait à celle qui en absorbait de voler dans les airs pour rejoindre le Sabbat…

—On verra bien ! Et puis ces temps sont révolus. Moi je ne crois pas à toutes ces balivernes, conclut Edgar.

✩✩✩

Edgar et Edmonde de Latour du Pin, Aldaric et Aliénor d'Aiguevive, Eudes et Astrid de Courtelande ne se quittent plus.


A ce point de la soirée, la préoccupation de tous : Qui aura-t-on comme voisins de table ? C'est important en ce soir de Noël d'être bien entouré !

Déjà, par petits groupes, les invités commencent à se rapprocher des tables du festin disposées en fer à cheval au centre de la salle.

Des nappes blanches damassées rehaussent l'éclat des cristaux, intensifient les reflets chauds des couverts en vermeil et ceux nacrés de la fine porcelaine.

Tout illuminé, un chemin de table, rythmé par un alignement de bougies, de petits bouquets d'hellébores et de guirlandes de lierre.


Heureusement la maîtresse de maison a tout prévu. Sur chaque serviette, un marque-place…

Certains ont déjà pris place ; d'autres pour y voir plus clair, leurs cartons en mains, froncent les sourcils, ou chaussent leurs lunettes…

Pendant que l'on s'affaire à ce petit jeu, un trio de musiciens, en habits de velours vert s'installent dans un coin de la salle avec leurs instruments : une harpe, une vielle et une flûte à bec.

Déjà résonnent les premiers accords de musique baroque.


Après un moment de joyeuse confusion, chacun a enfin repéré sa place autour de la grande table.

Ce soir, le parti pris a été de placer les convives selon les rites du Haut Moyen- Age : Les plus titrés en "haut bout", auprès du maître des lieux ; les femmes, et les moins titrés, dont les six amis, en "bas bout".

Sitôt assis, Edgar et ses amis s'empressent de dérouler leur menu. Un rouleau, façon parchemin, maintenu par un brin de raphia.


L'évocation de tous ces mets aiguise l'appétit de tous, en particulier celui d'Edgar qui s'impatiente devant son assiette vide. Son estomac gargouille. Et puis il y a tous ces fumets qui viennent lui chatouiller les narines. Envieux, il salive en observant, du coin de l'œil, les chanceux du "haut bout" déjà servis "selon l'usage de l'époque".

Les maîtres d'hôtel leur ont présenté des saucisses croustillantes, des boudins fumants, des pommes cuites au four, dorées et parfumées, d'irrésistibles pâtés en chemise et d'autres appétissantes bouchées …



Edgar, ce fin gourmet, trépigne, il a hâte, lui aussi, de commencer les festivités gastronomiques.

Aura-t-on la possibilité de goûter à tous ces mets ? S'enquiert-il auprès de Dame Noël assise à sa droite.

Oh ! Non, ce soir vous ne pourrez découvrir que ceux qui auront été disposés devant vous …

Le repas se déroule rythmé par la mélodie de la harpe soutenue par le bourdon de la vielle et celui de la flûte.

En attendant d'être servi, machinalement, le nez en l'air, Edmond bat la mesure en tapotant la table.


Le Nectar a eu beaucoup de succès…

La fête bat son plein. La musique est de plus en plus allègre.

Les convives de plus en plus volubiles.

L'atmosphère de plus en plus chaude…


Soudain, Aliénor saisit le bras d'Edgar et s'écrie:

Regardez Edgar, la tapisserie là-bas… les lés qui ondulent… la Licorne… elle est vivante ! Elle gratte le sol de son fin sabot, elle a tourné la tête, elle gambade,…vous la voyez, Edgar, comme je la vois ?

—Si ! Si!! Si !!! Répond Edgar.

Nous la voyons aussi ! Enchaînent en cœur, Edmonde, Eudes et d'autres…

A présent, tous les regards des convives obliquent vers le mur, et suivent la Licorne qui bondit au milieu de la salle. La voilà qui déambule autour du "fer à cheval". La voilà qui broute les guirlandes de lierre qui décorent la table…et même les fleurs d'Hellébore…

—Eh ! Regardez ! s'écrie Eudes… là, au-dessus de la cheminée, le cerf… ses naseaux frétillent… mais je rêve ou quoi ?

—Non ! Non! Vous ne rêvez pas Eudes ! Nous le voyons aussi, lui répondent, d'une seule voix, les convives.

Eh ! Là-bas ! s'exclame Alderic... celui-là ! il s'extraie carrément du manteau de la cheminée …


À ce point du repas, on en est au " Boute hors", un vin doux "Cuvée Très Spéciale "vient d'être servi…


Un bruit retentit. Dame Noël vient d'agiter sa clochette de table:

Chers amis, pour clôturer cette soirée, avec nos hôtes nous vous avons préparé une surprise : Une descente aux flambeaux!Si vous voulez vivre une aventure exceptionnelle, une petite préparation s'impose. À cette fin, vous trouverez dans vos chambres un pot d'onguent, que je vous ai concocté pour cet événement. Il faudra vous en badigeonner tout le corps.

Les skis sont dans les dépendances. Et bien sûr, n'oubliez pas les torches ! Rendez-vous, dans un quart d'heure sur le perron…

Sur ces paroles, Dame Noël s'éclipse…



Les douze coups de Minuit viennent de sonner !

Dame Noël ouvre la descente. À la pointe de son hennin, flottant comme une bannière, son long voile, rouge lumineux. Dans son sillage, la joyeuse troupe, équipée de flambeaux. La voilà qui s'engage en courbe douce dans la pente enneigée.

Au fil de la soirée, tous les convives ont consommé du fameux breuvage. Tous y ont fait honneur et plus que de raison !

Des effets inattendus de la potion ne tardent pas à se manifester… déjà Edgar se sent pris de fou rire. Puis c'est, une hilarité irrésistible qui s'empare de tout le groupe. Dans un écho infernal, les éclats de rires leur reviennent en écho du fond de la vallée, décuplés d'intensité… quand soudain, un tintement de grelots d'abord lointain, presque inaudible, se fait entendre ; puis au fur et à mesure que les skieurs progressent vers le bas de la piste, le concert se fait de plus en plus distinct jusqu'à devenir assourdissant.

Rassemblés en cercle sur l'esplanade, ces spectateurs découvrent, bouche bée, une féérie: Caracolant au-dessus de leur tête un troupeau de rennes ! Des rennes chimériques ! Fleuris de poudreuse. Auréolés de lumière. Aux bois et sabots d'or.

Mais les skieurs ne sont pas au bout de leur surprise. Ils aperçoivent, emportée par ce tourbillon, Dame Noël, droite et fière, chevauchant une licorne, crinière au vent et queue en panache. Celle échappée de la tapisserie ! Toute blanche comme l'écume, enguirlandée de lierre dérobé sur la table du festin.

 présent, la Fée Rouge leur fait de grands signes, puis les mains en porte-voix leur crie :

—Allez ! Venez avec nous au Pôle Nord.


La voix grave au timbre de velours de Dame Noël leur parvient:

-Fermez les yeux… respirez profondément… détendez-vous…écartez lentement les bras… laissez-vous aller… vos pieds quittent le sol… Ça y est vous décollez !

A cet instant, les convives en extase, dans un même mouvement ascensionnel rejoignent dans les nues la chevauchée fantastique.


Le lendemain matin, toute d'angora blanc neige vêtue, Noëlle de Noblecour, ses amis, Merlin et Mélusine de Mortelune, et leurs invités, se retrouvent autour d'un café fumant dans la salle du festin.

Tous ont des étoiles plein les yeux… (la pupille un peu dilatée quand même ! et l'étrange sensation d'être encore en apesanteur).

Ils commentent avec passion la fabuleuse aventure qu'ils ont vécue la veille. Avec un nom magique sur toutes les lèvres : La Mandragore !!!


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