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Un personnage

 

 

 

 

Nous allons encore parler de personnages.

La nouvelle qui va nous accompagner aujourd’hui et nous éclairer sera Le Puits et le pendule, d’Edgar Allan Poe. Lisez-la. C’est magnifique de précision et de tension, et dans cet univers clos, qui pourrait être pauvre, vibre un univers parfaitement plein et presque débordant !

 

Autre temps, autre démarche, mais toujours la même quête : l’auteur cherche son personnage !

Vous sortez de la pièce et votre personnage s’y trouve toujours.

Imaginons que cette pièce soit une scène vide de théâtre. Voilà, juste un plateau, vide et dans le noir. Vous l’auteur, vous avez disparu. Vous êtes tout au fond du théâtre, derrière la porte que vous tenez à peine entrebâillée. Votre personnage est au centre. Il est déjà là.

Alors, peut-être comme un danseur ou un acteur, il va claquer des doigts et une pâle lumière va éclairer le plateau.

Vous allez assister à la création de son univers. Votre personnage n’est encore, on le sait bien, qu’une silhouette que l’on a habillée. Regardons-la créer son monde. Ce sera notre première ouverture.

Première ouverture :

Et première rencontre avec le personnage de Poe. Vous le constaterez, ce personnage est le narrateur. Je vous demanderais de ne pas suivre cet exemple. Le narrateur sera extérieur. Comme s’il se situait entre votre personnage et vous qui l’observez.

Mes mains étendues rencontrèrent à la longue un obstacle solide. C’était un mur, qui semblait construit en pierres, — très lisse, humide et froid. Je le suivis de près, marchant avec la soigneuse méfiance que m’avaient inspirée certaines anciennes histoires. Cette opération néanmoins ne me donnait aucun moyen de vérifier la dimension de mon cachot ; car je pouvais en faire le tour et revenir au point d’où j’étais parti sans m’en apercevoir, tant le mur semblait parfaitement uniforme. Je déchirai une partie de l’ourlet de ma robe, et je plaçai le morceau par terre, dans toute sa longueur et à angle droit contre le mur. En suivant mon chemin à tâtons autour de mon cachot, je ne pouvais pas manquer de rencontrer ce chiffon en achevant le circuit. Du moins, je le croyais ; mais je n’avais pas tenu compte de l’étendue de mon cachot ou de ma faiblesse. Le terrain était humide et glissant.

Peu de temps après, je repris mon voyage autour de ma prison, et avec beaucoup de peine j’arrivai au lambeau de serge. J’avais déjà compté cinquante-deux pas, et, en reprenant ma promenade, j’en comptai encore quarante-huit, — quand je rencontrai mon chiffon. Donc, en tout, cela faisait cent pas ; et, en supposant que deux pas fissent un yard, je présumai que le cachot avait cinquante yards de circuit.

Le voilà donc, votre personnage, dans un espace qu’il va découvrir. Est-il hostile, ne l’est-il pas ? Vaste ou étroit ?  Pour l’instant, il est vide. Il est même le vide dans lequel votre personnage commence à se construire.

Il le parcourt et cet espace -encore vide- est le monde dans lequel votre personnage va se développer, grandir. Votre personnage est d’ores et déjà adulte, il ne s’agit donc pas de croissance et d’âge, mais de consistance.

 

Dans quel environnement votre personnage va-t-il évoluer ?  Comme le personnage de Poe, il va le mesurer. Pour ce faire, quel moyen va-t-il utiliser ? Pour l’instant, seul l’espace l’intéresse, et ses contours. Où donc se trouve-t-il ?

 

2ème ouverture :

 

Quand je rouvris les yeux, les objets autour de moi étaient visibles. Grâce à une lueur singulière, sulfureuse, dont je ne pus pas d’abord découvrir l’origine, je pouvais voir l’étendue et l’aspect de la prison.

La forme générale de la prison était un carré. Ce que j’avais pris pour de la maçonnerie semblait maintenant du fer, ou tout autre métal, en plaques énormes, dont les sutures et les joints occasionnaient les dépressions. La surface entière de cette construction métallique était grossièrement barbouillée de tous les emblèmes hideux et répulsifs auxquels la superstition sépulcrale des moines a donné naissance. Des figures de démons, avec des airs de menace, avec des formes de squelettes, et d’autres images d’une horreur plus réelle souillaient les murs dans toute leur étendue. J’observai que les contours de ces monstruosités étaient suffisamment distincts, mais que les couleurs étaient flétries et altérées, comme par l’effet d’une atmosphère humide. Je remarquai alors le sol, qui était en pierre. Je levai les yeux, et j’examinai le plafond de la prison. Il était à une hauteur de trente ou quarante pieds, et, par sa construction, il ressemblait beaucoup aux murs latéraux. Dans un de ses panneaux, une figure des plus singulières fixa toute mon attention. C’était la figure peinte du Temps, comme il est représenté d’ordinaire, sauf qu’au lieu d’une faux il tenait un objet qu’au premier coup d’œil je pris pour l’image peinte d’un énorme pendule, comme on en voit dans les horloges antiques. Il y avait néanmoins dans l’aspect de cette machine quelque chose qui me fit la regarder avec plus d’attention. Comme je l’observais directement, les yeux en l’air, — car elle était placée juste au-dessus de moi, — je crus la voir remuer. Un instant après, mon idée était confirmée. Son balancement était court, et naturellement très lent. Je l’épiai pendant quelques minutes, non sans une certaine défiance, mais surtout avec étonnement.

Voici le moment où le monde prend forme. Les dessins sur les murs, le sol et le plafond. A quoi ressemblent-t-ils ? Ils sont exactement ce qu’est votre personnage, ils sont son environnement.

 

3ème ouverture :

Un léger bruit attira mon attention, et, regardant le sol, je vis quelques rats énormes qui le traversaient. Ils étaient sortis par le puits, que je pouvais apercevoir à ma droite. Au même instant, comme je les regardais, ils montèrent par troupes, en toute hâte, avec des yeux voraces, affriandés par le fumet de la viande. Il me fallait beaucoup d’efforts et d’attention pour les en écarter.

 

Y aurait-il des rats, un chat, un chien, ou même un humain, voire davantage ?

 

Votre personnage meuble l’espace et l’occupe. D’autres viennent l’y rejoindre. Personne ne parle. Mais chacun s’installe. A quoi ressemblent-ils ?

 

4ème ouverture :

Votre personnage quitte ce lieu et sort. Dans la rue ? Où est-il ? Dans quelle ville, quelle campagne ? Il y est seul. Il avance. A grandes enjambées, à petits pas, en talons aiguilles ? Où va-t-il ? Qui va-t-il rejoindre ?

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