top of page
  • Photo du rédacteurCMT

Atlan, Quignard, Reinhardt

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

Serpent argenté scintillant des éclats de lune, la Loire se faufile, à coups de reins ardents, dans l’entrelacs tortueux de branches et de feuilles mortes, arrachées à ses rives par les flots agités de l’automne passé, accumulés-là en ilots épars. Ce n’est qu’à la faveur de nuits estivales, qu’elle accepte cette illusion de minceur, comme rétrécie en elle-même. Elle préfère la lumière brumeuse des longues journées d’hiver qui, toute en lueurs adoucies et changeantes, révèle ses formes généreuses. Épanouie, enjôleuse, elle se détend, s’étire, lascive, dans son lit où elle déploie ses charmes, sans compter.

Mère généreuse et prodigue, elle contemple satisfaite sa progéniture accrochée à ses flancs - Bouleaux à l’écorce blanchie, peupliers au feuillage plaqué d’argent, saules aux longues mèches étirées, débarrassées de leurs boucles verdoyantes, grandissent, toujours aux aguets, à la merci de ses emportements intempestifs.


2)Au printemps, à la fonte des neiges, débordée par tant d’abondance, elle grossit démesurément, déchirant les coutures des tissus végétaux confectionnés avec soin par ses enfants attentionnés qui veulent la protéger des vents violents venus des terres. Sans retenue, elle envahit les quais qui la bordent et vient flâner le long des habitations, visitant, curieuse, les caves et sous-sols, tentant quelques pas jusque dans les jardins, s’invitant même dans les cuisines et salons. En passant, elle relit à l’envie les dates de ses crues meurtrières. 1846, 1856, 1866…. Dans les pierres des façades noircies de moisissures, les chiffres soulignés d’un trait rouge se font la courte échelle dans une escalade morbide. Elle cerne avec difficulté les procès qu’on lui attente, les reproches qu’on lui adresse. Fille de la nature, la Loire est née sauvage et libre, mais telle une femme capricieuse, les hommes l’ont domptée. Elle s’est laissé faire, soumise à leur volonté mais ce n’est qu’au prix de son pouvoir resté intacte de vie ou de mort. Malheur au nageur pourtant aguerri, qui cherche à poser les pieds sur ses fonds, mouvants, muant au gré des courants souterrains. Emporté par l’emprise de ses tourbillons qui l’aspirent, il perd tout repère, ne trouvant à portée de mains aucune branche ou herbe salvatrice. Avides, les flots l’engloutissent, et complaisamment rejettent leur victime quelques kilomètres plus loin.


3)Depuis quelques années, la Loire se sent trahie par celui qu’elle considérait comme son ami, exploitée à bon compte. Elle regarde, attristée ce qu’elle nomme ses verrues disgracieuses. Les termes pour désigner cette maladie humaine contagieuse lui échappent – centrales nucléaires – Rien qu’elle ne puisse comprendre.

Soucieuse, toute frissonnante de cette fièvre qui désormais ne la quitte plus, elle se désole de ne pouvoir retrouver la fraicheur de sa jeunesse. Les uns après les autres, elle a vu disparaitre ses chers compagnons, les poissons. La richesse de ses eaux s’est anéantie, cisaillant par la même occasion la renommée des restaurants installés sur ses rives, emportant dans l’oubli les saveurs délicieuses de leurs mets raffinés - Brochet au beurre blanc, anguille en matelote, petite friture.

A la saison estivale, elle oublie un peu ses rancœurs, pour offrir aux touristes méritants, comme des joyaux rares et précieux, de petites plages à la peau soyeuse et hâlée, loin du tumulte humain.


4)La lumière du jour s’estompe doucement, les pipistrelles prennent leur envol, dans un ballet silencieux et nerveux, frôlant de leurs ailes dentelées de velours la surface de ses flots. Pour les remercier de l’infinie douceur de leurs caresses, la Loire exhale en une cadence rythmée, des nuées d’insectes, à peine nés dans ses herbes aquatiques.

La lune, ce soir, ne parait pas. Le ciel, drapé dans ses voiles de tristesse, laisse déjà échapper quelques larmes, perles nacrées, irisées d’or par les rayons rasants du soleil couchant. La nuit peine à se prononcer. La Loire aime ces indécisions, ces petits pas de danse hésitants. L’homme, en revanche, se trouble de cette ambiance incertaine, ambiguë, ses mots peignent une inquiétude ancestrale – Entre chien et loup –

Les ombres paraissent, la Loire s’enroule dans ses draps de satin anthracite, sa conscience s’apaise, flotte entre deux eaux. C’est l’heure où les images de la beauté du jour s’effilochent, les rêves piquetés des cris et chuchotements des petites bêtes mystérieuses et ignorées, naissent dans le noir.


Denise

13 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Atlan Quignard

Deuxième ouverture : l'émotion choisie : la joie Sylviane est d'une compagnie très agréable, car elle à tendance à positiver les événements, les circonstances de la vie. Elle voit toujours le bon côté

ATLAN QUIGNARD

LA COUPE Une vieille maison de pierre à flanc de coteau cachée dans une sapinière, elle apparait au détour du chemin .Une unique porte en bois s’ouvre sur la façade .De vagues traces de peinture bleu

PEREC 1ère ouverture enrichie

· La porte-fenêtre s’éclaire d’une lumière tamisée, halogénée. Une jeune fille s’y coule, ondulant au rythme d’une musique-oreillettes, portable en mains. Brune, cheveux descendant jusqu’aux reins, je

bottom of page