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PEREC SARRAUTE ERNAUX

Silhouettes 1 Une jeune femme, chaussures à talons hauts, élégante, arrive... passe. . .s'éloigne. . .Pense-t-elle attirer l'attention en faisant tinter ses aiguilles sur le pavé ? Un gros matou, portant collier avec le nom de ses maîtres. Il est noir, avec seulement l'extrémité des pattes blanche, se faufile entre les chaises faisant attention à ne pas salir ses bottines. Un jeune papa promène sa progéniture dans un siège qu'il porte sur sa poitrine. Les voitures sont peu nombreuses et les pigeons viennent quémander quelques miettes auprès des consommateurs. Cet homme caresse d'un geste machinal sa barbe coupée au centimètre prés, il ne voit rien, ne cherche rien, attend que passe le temps. Est-ce pour un rendez-vous à la banque? pour une embauche ou pour un compte dans le rouge ? Ou alors, vêtu d'un costume trois pièces et chemise blanche ornée d'une superbe lavallière, est-il invité à une cérémonie religieuse ou à une remise de décoration . . . et c'est pour cela qu'il ne se presse pas ! Tiens, la personne qui arrive est chaussée de baskets fluo, elle va sans doute dans un club de gym...ou retrouver quelques copines pour faire un peu de jogging. . . Ainsi vont mes pensées, assise à la terrasse du bar du Cours. Tout en dégustant mon café, je fais comme les militaires au début de l'opéra ''Carmen'' de Bizet, qui chantent Pour passer le temps Nous regardons passer les gens. Justement un petit groupe s'approche, s'arrête, et vient s'asseoir non loin de moi. Ils sont cinq ou six, tous barbus, comme j'ai pu m'en rendre compte quand ils sont passés à mes côtés. Ce phénomène de mode me fait sourire en pensant à la fameuse phrase de Michel Audiard Un barbu c'est un barbu, trois barbus . . .c'est des barbouzes ! Ils éclatent de rire et se tapent les mains paume contre paume, à la manière des sportifs. Je ferme les yeux pour mieux capter la sonorité de leur voix et c'est comme une ribambelle de mots qui m'entoure, m'enveloppe et me fait voyager dans un autre monde. 2

La tendresse avec laquelle il parle à son bébé est émouvante. Il lui décrit les arbres qui bordent la chaussée, lui explique qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour que ces arbres puissent continuer à croître et à embellir la nature, et tu verras un jour, on accrochera une balançoire à ses branches, et si tu as envie d'y grimper comme les écureuils,on y grimpera et on y construira une cabane. Il lui raconte aussi des histoires de chat botté, de souris... d'oiseaux... Il y a quelques mois il ne se doutait pas qu'il serait si patient, si attentionné. Peu avant l'accouchement, ils ont parlé longuement, sa compagne et lui, du congé parental. Qui le prendrait ? ...Lui?...Elle ?... Ils n'ont pas voulu retenir une place dans une crèche, ils aiment déjà ce petit être en formation et ne désirent pas le confier à d'autres mains que les leurs. Puis ils ont tranché. Ce qui a pesé dans la balance, c'est la promesse d'une promotion dans son travail pour elle, et pour lui un cursus à terminer afin d'obtenir le diplôme pour lequel il a déjà tant galéré. Elle a tiré son lait avant de partir, et il le lui donnera en rentrant...à moins qu'il ait rangé le biberon dans son sac et il le lui fera prendre au cours de sa promenade. Alors le bébé épuisé d'avoir tété ce liquide qui lui rappelle le goût et l'odeur de sa maman, bercé par la marche régulière, s'endormira. Lui, pourra s'asseoir, lire, écrire, travailler sur un dossier qu'il a eu la précaution de mettre dans son sac. 3

Quand il aura mis bébé dans son berceau, il placera les fleurs qu'il a acheté au cours de sa promenade dans le vase que les copains leur ont offert pour leur installation, et il le posera bien en vue, espérant ainsi soulager d'une partie de sa fatigue sa compagne à son arrivée, elle aime tellement les fleurs. Ce sera alors une explosion de mots pour exprimer son contentement Que c'est beau, tu t'es souvenu que j'aime particulièrement les freesias et cela me touche, c'est si coloré, que c'est bon de sentir leur parfum dans la maison! mais viens prés de moi, raconte-moi bébé aujourd'hui. Elle n'a pas envie de parler de son travail...les autres... les problèmes...la banalité quotidienne... Mais échanger sur son bébé...ses sourires...quand il dort ...ses pleurs... ce n'est pas la routine, car il évolue chaque jour ! A-t-il gazouillé par petites syllabes ou par cris, regardé ses doudous ? Et s'instaure un dialogue où se mêlent des mots doux, légers, porteurs d'avenir, des mots qu'elle lance comme des cerf-volants qui montent, prennent de l'importance, comme si un vent marin entrait par la fenêtre, et donnait des idées de grand large.

Des mots qui ne sont qu'à eux, qui leur appartiennent, que nous pouvons peut-être imaginer, ou que nous ne soupçonnons même pas, qui viennent du plus profond de leur être, d'un lieu incertain qu'ils ne connaissaient pas, mais que leur amour mutuel leur fait découvrir de plus en plus profondément chaque jour.


Simone

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