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Woolf, Juliet

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

Aujourd'hui, 20 septembre, j'ai retrouvé Richard. J’ai mis un certain temps pour le reconnaître. Je crois bien que c’est à cause de sa voix, sa voix et son sourire. Oui, surtout son sourire. Je ne l’avais plus vu depuis la fin de l’école primaire, ça doit faire 7 ans et, aujourd’hui, je me suis retrouvé assis à côté de lui dans l’amphithéâtre de la fac de droit à Montpellier, je n’en croyais pas mes yeux. J’ai remarqué tout de suite qu’il avait été très surpris de me voir. Je l’ai vu dans son regard et son sourire, encore son sourire, dès qu’il m’a reconnu. Le même sourire méprisant qu’il arborait lorsqu’il m’avait dit le jour de la sortie des classes, le dernier jour à l’école primaire : Toi, tu seras toujours nul ! J’ai traînée ces paroles comme un boulet, durant des années

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Aujourd’hui, 20 septembre 1980. Une journée glauque, sombre, noire même. Une journée inoubliable à oublier ! Lorsque j’ai pénétré dans la salle du tribunal des affaires matrimoniales, j’étais un peu tendu, nerveux. J’ai essayé de me calmer en prenant de grandes inspirations comme Anne, ma professeure de yoga, me l’avait enseigné. J’ai vu que ma femme était déjà là, accompagnée de son avocat. J’ai pensé que j’aurais peut-être dû, moi aussi, prendre un avocat mais c’était trop tard. Je me suis adressé quelques encouragements, je me suis répété plusieurs fois que je n’avais rien à craindre, que j’avais de solides arguments pour me défendre, que tout allait bien se passer. J’ai essayé de rassembler dans ma tête les points forts de ma défense. Mais, je sentais que j’étais bien fragile et, d’ailleurs, tout a basculé lorsque j’ai reconnu l’avocat de mon ex-femme. Tout s’est embrouillé dans ma tête, mes arguments se sont volatilisés. Quand Richard s’est avancé vers moi en déclarant avec toujours ce même sourire : Tiens, ravi de te revoir après toutes ces années ! j’ai été pris de tremblements, j’ai été incapable de lui adresser le moindre mot, je me suis liquéfié. Ce qui s’est passé ensuite m’a échappé complètement. Je vais devoir attendre le compte-rendu du juge pour me rendre compte de la façon dont s’est déroulée l’audience. La seule chose dont je me rappelle avec certitude, c’est qu’une fois dans ma voiture, j’ai attendu un moment avant de démarrer afin de reprendre mes esprits et j’ai pensé qu’avec cet énergumène ce n’était pas gagné et j’ai presque hurlé : Il ne me lâchera donc jamais celui-là !

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Aujourd’hui, 20 septembre 2000. J’ai du mal à exprimer ce que j’ai ressenti quand j’ai su que j’aller rencontrer Richard. Je pensais qu’il serait étonné de me revoir en pareille circonstances, gêné même. Je ne me suis pas trompé, il a été abasourdi lorsque la secrétaire l’a introduit dans le cabinet médical du Professeur Duval. Il ne s’attendait pas à me voir. Il ne m’avait plus vu à la faculté et savait que j’avais abandonné le droit mais ne se doutait pas que j’avais fait médecine. J’avais le sentiment de le prendre en traitre, d’être là au mauvais moment pour lui. Je savais qu’il avait rendez-vous avec le professeur Duval, mais Richard ignorait que celui-ci avait dû s’absenter et m’avait demandé d’assurer son remplacement.

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Aujourd’hui 20 septembre 2019. Juliette, l’épouse de Richard, m’a appelé ce matin pour me dire qu’il était parti au terme de sa maladie. Quand elle a raccroché, je suis resté assis un long moment dans mon fauteuil, figé, statufié, incapable de réaliser ce qui arrivait. Puis j’ai ressenti une envie irrépressible de quitter mon appartement, de marcher dans les rues de la ville. Un besoin de voir du monde, d’entendre du bruit, une envie de mouvement, de vie. J’ai erré au hasard sans me soucier de la direction de mes pas. Mes pensées flottaient en apesanteur, s’estompaient, se troublaient. Mon esprit, incapable de fixer son attention, divaguait, en proie à une perpétuelle agitation. Au bout d’un temps dont je serais bien incapable de mesurer la durée, je suis rentré chez moi. J’étais vidé, harassé, je suis allé directement dans ma chambre, j’ai tiré les rideaux et me suis allongé sur mon lit dans la pénombre.

J’avais besoin de me calmer. J’ai fermé les yeux en inspirant profondément. Je sentais l’air pénétrer dans ma poitrine, le rythme de ma respiration s’est apaisé peu à peu. Mon corps est devenu de plus en plus lourd, j’avais l’impression de m’enfoncer dans le matelas de mon lit. Les bruits que je percevais se sont estompés progressivement pour finalement disparaitre et je me suis assoupi, ou peut-être pas, je ne sais pas vraiment.

J’ai du mal à trouver les mots pour traduire ce que j’ai vécu durant ce moment si particulier que j’ai passé dans ma chambre. Non seulement, j’ai du mal, mais surtout, j’ose à peine écrire ce que j’ai ressenti de peur que l’on me prenne pour un fou.

J’ai senti la présence de Richard, il était là, assis dans le fauteuil à coté de mon lit. Je ne distinguais pas véritablement son visage mais je voyais sa silhouette. Oui, il était bien là et je lui parlais et il me répondait

- Richard, je ne pensais jamais qu’un jour nous puissions devenir amis.

- Et tu vois, Paul, c’est ce qui s’est passé. La vie réserve vraiment des surprises.

- Oui, des choses inconcevables, inimaginables. Tu me détestais, avoue-le.

- C’est vrai, je prenais un malin plaisir à me moquer de toi, à t’humilier. Je me suis rendu compte plus tard, que j’étais un pauvre type. Comment as-tu fait pour me soigner ? Lorsque je t’ai vu dans le bureau du professeur Duval, je me suis décomposé, j’ai eu honte. Et toi, tu n’as pas tenu compte de tout ce que je t’avais fait subir.

- Tu sais, Richard, je dois t’avouer que c’est le professionnel, le soignant, qui t’a accueilli. C’est petit à petit que tu es devenu mon ami. Dans mon métier, on est confronté tous les jours à la souffrance. On apprend à connaître les faiblesses et les misères de l’humanité, alors on arrive à faire très rapidement la part des choses. On prend du recul.

- Tu as été formidable Paul, tu n’as pas triché. Tu savais que j’étais condamné, je le savais aussi, et tu m’as toujours parlé avec franchise. C’est en agissant comme tu l’as fait que tu m’as véritablement aidé à accepter l’inacceptable. Grâce à toi, je peux dire que je suis parti en paix.

- Richard, tu es peut-être parti en paix, mais maintenant, c’est à toi de m’aider car je réalise aujourd’hui combien tu comptes pour moi. Je prends véritablement conscience que je n’étais pas préparé à ton absence. Je savais que tu allais partir mais je réalise que savoir n’est pas comprendre, que savoir n’est pas accepter, que savoir est peu de chose tant que la connaissance ne pénètre pas les fibres du corps et du cœur. Richard, moi qui ne crois ni à Dieu ni à diable, je me suis surpris à prier, à te vouloir vivant, à vouloir te sentir près de moi. Mais d’ailleurs tu es bien là, Richard, je ne rêve pas, tu es là, tu es bien là, près de moi et ton corps n’est pas glacé, sans vie à tout jamais.


André



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