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Un Français à New York


Que vous ne compreniez pas ce qu’il est en train de vous expliquer, peu lui importe ! L’Américain est ainsi. Il se sait détenteur d’une langue quasi universelle. Que cela lui confère un rien de supériorité dont il peine à se défaire, peut paraître, après réflexion, admissible. Quoi que …..

Peut-on trouver meilleure preuve de sa prétention que ce chewing-gum qu’il balance nonchalamment d’une joue à l’autre tout en vous parlant. Il ne pense pas une seconde, l’Américain, que cela puisse heurter la plus élémentaire des convenances. Ne vous a-t-on pas répété à l’envie, petit : « enlève ton chewing-gum de ta bouche avant de parler. Non ! Ne le jette pas par terre ! ». Il s’en croit l’inventeur peut-être ? Il s’arroge ainsi le droit de le mastiquer comme bon lui semble. L’Américain est ainsi ! Qu’il ne soit que l’opportuniste exploitant de végétaux que ses très, très lointains ancêtres mâchouillaient déjà, il préfère l’ignorer. Ne cherchez pas, il en est de même du Coca-Cola, du tissu jean, du hamburger…Ah ! non, cet infâme, ce traître à notre bonne gastronomie française, il ne viendrait à personne d’en revendiquer l’appartenance.

En revanche, pensez marketing, cette méthode de vente, qui fait acheter au client le plus avisé soit-il, le produit dont il n’avait jusqu’alors pas soupçonné l’intérêt. Est-il utile de souligner l’absurdité guerrière d’un Black Friday, le déchainement glycémique d’un Halloween, concurrençant les saveurs colorées et gustatives de nos paisibles carnavals de Mardi-Gras ? Américain, américain, vous dis-je ! A-t-il conscience du gâchis planétaire ? Absolument pas. Vous l’attendiez navré. Non il ne le sera pas, emporté dans les sphères d’une société de consommation outrancière devenue modèle mondial. Pour vous signifier qu’il vous pardonne votre esprit réticent, critique, décidément « so french » -traduire tatillon, mesquin - aura-t-il la délicate attention de vous offrir, tombé d’un distributeur de boissons, un Coca-Cola payé avec sa carte de crédit American Express… Gold bien sûr ? Ainsi trinquerez-vous, gobelets en plastique en mains, le plus délicatement possible pour ne rien renverser, les jetant ensuite en toute innocence dans une poubelle en plastique elle aussi, largement débordée.

Faites-en l’expérience. Imaginez-vous assoiffé par de longues déambulations dans les rues de New York, grouillantes, polluées, stressantes, hurlantes des sirènes stridentes de la police, criardes de publicité tout en flash lumineux. Soudain, vous êtes attiré par une porte à tambour, émergence d’un souvenir lointain. Sans plus réfléchir vous entrez. Vous espériez un bar-café. Vos regards identifient rapidement la lettre M. Vous venez de pénétrer au royaume du dénommé Mac Do. Donc, vous êtes assoiffé. Vous vous approchez d’une sorte de comptoir et, de votre accent le plus appliqué, vous demandez à une jeune fille customisée « A glass of water, please ». Les yeux de cette charmante hôtesse se mettent à clignoter aussi vite que le M tout en scintillements d’or illuminant sa casquette rouge. Pourtant, vous êtes sûr de vous. Avant d’embarquer à bord du Boeing 747, vous avez pris soin de vous inscrire à l’association « English conversations »pour revoir vos bases datées collège. Le prof, un copain, vous a rassuré « Frank, t’as pas trop l’accent mais ça devrait le faire ». Fort de cet état de service plutôt encourageant, de plus en plus déshydraté, vous répétez plus fort « Please a glass of water » en articulant avec lenteur bouche tout en tortillons. La demoiselle clignotante appelle une collègue qui vient immédiatement à son secours. Bis repetita. Les quatre yeux agrandis ne laissent aucun doute sur le degré de compréhension de votre demande. Une troisième jeune femme –elle ne clignote pas, ce doit être une chef ! – s’agrège aux deux autres. C’est alors que vous avez une idée. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? Devant vous, posés dans une assiette, des œufs durs, tout écaillés. D’un geste rapide, vous en attrapez un. Aussi élégamment que possible vous l’enfournez dans son entièreté. Quelques bouchées plus tard vous lancez votre nouveau… « A glass… » Les regards se confrontent, s’éclairent, s’acquiescent, se sourient. « Oh, yes, a glass of wader, is it allright ? ». « Yessssssssssssss ! » Jamais eau ne vous a semblé aussi bonne. Vous l’avalez d’une traite. Désaltéré, repu, très désappointé, vous sortez. Reprise en mains de votre vie, quelques minutes de calme et d’intégration des nouvelles données vous sont nécessaires. L’Américain n’aime pas vos doutes, vos interrogations. Qu’en sera-t-il alors du Grand Rêve Américain ? Il ne peut vous laisser ainsi. Le cœur tout contrit de votre désarroi, le passant américain va se dévouer. Il lui faut impérativement redorer l’image de la Bella America. C’est ainsi qu’un homme grand, un peu gros, au ventre proéminent, au visage jovial, tout sourire, mastiquant nonchalamment un chewing-gum s’approche, s’adresse à vous « Vous êtes français ? » « Oui, enfin, Yes ! » Tentez-vous, peu rassuré. Tout en vous prenant par les épaules, il vous glisse à l’oreille « Je suis Américain, et je parle français. » Fort accent mais l’assurance de la maitrise y est. « Etes-vous déjà allé dans un club de jazz ici à New York ? » Sans plus attendre, il vous emmène, prétextant que le Alchemist jazz club est à deux blocs de là. Vous sentant un peu réticent -quelques dollars seulement occupent vos poches- l’Américain devine la raison de vos hésitations. Il brandit majestueusement devant vos yeux sa carte de crédit, scintillante de tous ses ors. Vous ne savez pas trop si cela vous intéresse, mais vous voilà pris dans son champ de force qui annihile toute volonté, toute raison et comme un pantin vous le suivez sans plus vous poser de questions.

Peu de temps après, vous voilà arrivé devant une porte en bois sombre, bien dissimulée des regards des passants par un jolie treille fleurie tout en plastique. De petits coups portés sur le judas suffisent pour en ordonner l’ouverture. L’ambiance délicatement assombrie vous surprend. Les bougies disposées sur les tables lancent quelques éclats lumineux et dorés, qui font vaciller les ombres des serveuses. D’un geste cordial, l’Américain, goguenard, vous invite à vous installer rapidement, commandant avec un discret clin d’œil une boisson mystérieuse à une jeune femme tout de noir vêtue. Insuffisamment désaltéré, vous vous précipitez sur le verre que l’on vous propose. Le liquide doux, délicatement alcoolisé enveloppe délicieusement vos pupilles, caramélise votre gorge, trouble votre regard. Vous distinguez un mouvement près de vous, ne percevez plus la présence de votre nouvel ami. Du fond de la salle, arrive de son pas chaloupé, un corps fuselé dans une robe fourreau en lamé or, coiffure platine, qui prend place tout contre vous dans un effluve de parfum envoûtant. Marilyn ? Eh oui, Marilyn herse

lve ! Elle vous murmure à l’oreille « Oh, Franky, my pretty Sinatra. I’m so happy to sing together ». Ses mains gantées entourent vos épaules, c’est alors que vous prenez conscience que vous avez troqué votre chemise et votre blouson de cuir pour un smoking, un nœud papillon de soie, un chapeau de feutre léger porté légèrement en arrière sur votre nuque. Sinatra ? Sinatra himself ! Marilyn se lève, vous prend par le bras et vous mène, sous les applaudissements des consommateurs attablés, vers la scène qui s’éclaire. Elle vous tend le micro. Les musiciens dissimulés derrière un rideau de velours noir entament les premières notes de Strangers in the night. Vous êtes américain mais vous ressentez profondément en vous la puissance de ces paroles qui, dans cet instant, vous appartiennent. Tout à votre passion, vous enchainez New York, New York. Marilyn vous accompagne, vous entraine dans de légers pas de danse. Le public subjugué vous ovationne, reprend avec enthousiasme les refrains qu’il connait par cœur. Des bouquets de rose tombent à vos pieds mais Marilyn soudain se trouve fatiguée, n’a plus qu’un souhait, quitter ces lieux, ce public trop bruyant. Elle salue de ses doigts scintillants, vous aide à rejoindre votre place restée dans l’ombre. D’imperceptibles tapotements sillonnent votre dos, suivis de petites claques sur vos joues. Vous ouvrez les yeux, votre ami américain est là, à côté de vous, hilare, son ventre tremblotant au rythme de ses éclats de rire. Sa bouille rougeoyante du plaisir de la bonne blague qu’il vous a faite, il vous lance « Nous sommes ainsi, nous les Américains ! De l’insouciance, du plaisir toujours, des rêves sans cesse plus nombreux, des dollars plein les poches et le monde entier qui nous regarde et nous envie ! »

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