Trou de serrure
- CMT

- 23 mars 2020
- 4 min de lecture

Un carnet à spirales très sale et corné est posé sur le coin de la table. Dessous le cahier on aperçoit des carreaux de faïences blancs comme une paillasse de laboratoire. La lumière est crue, elle descend du plafond, sûrement de quelques néons poussifs. Si on tend l’oreille on peut les entendre clignoter et grésiller. Parfois l’intensité lumineuse baisse puis remonte au rythme du chant des plafonniers. Dans la perspective et vers le fond de la pièce apparaît une partie d’un tableau noir d’école sur lequel s’alignent des formules chimiques. Quelqu’un écrit dessus, il n’est pas dans le champ de vision mais il fait bouger le tableau. Sa craie grince parfois et casse souvent aussi on entend des jurons en même temps. Un initié pourrait rapidement comprendre en lisant ces recettes de chimie ce qui se trame dans ce sous-sol. Une forte odeur d’acide flotte dans l’air et pique les narines. Près du tableau sur des étagères crasseuses s’étalent des éprouvettes, des béchers et autres Erlenmeyers. Soudain un bruit d’ébullition suivie d’un sifflement de vapeur. Des pas précipités viennent du fond de la pièce. Quelqu’un passe devant la porte et on ne voie plus rien. Une odeur d’hydrogène sulfurée a remplacé le piquant de l’acide. Ca sent vraiment l’œuf pourri.
Un gars en blouse blanche entre dans le champ de vision, il se baisse et laisse voir des lunettes de sécurités sur son nez ainsi que des gants latex noirs qui recouvrent ses mains. Le son d’une ventilation qui démarre et rapidement les mauvaises odeurs se dissipent. Une voix un peu couverte par le bruit de l’aspiration est très autoritaire : -Je t’avais demandé de programmer le réacteur au dixième de degrés prés. C’est quand même pas compliqué ça ! Va falloir recommencer la synthèse. Comprend moi bien, on n’a pas le temps ni le loisir d’enfumer et parfumer le quartier. Une autre voix avec un fort accent étranger répond énervée mais elle vient du fond et est incompréhensible. Tu peux toujours râler ça ne change rien, c’est comme ça. Un gars sans blouse passe devant la porte et bouche la vue. Quand il s’éloigne le carnet tout corné a disparu. A la place coule un liquide surmonté d’une vapeur brune. L’instant d’après le chimiste protégé de gants noir passe une éponge et nettoie la paillasse. Puis il se déplace vers la droite et le feulement de la hotte aspirante s’éteint.
Un bruit sourd de moteur électrique prend la relève et les conversations sont difficiles à suivre. – Souviens-toi que le saccharose doit être bien dissout dans le liquide opiacé. Ho tu m’écoutes ? C’est écrit dans mon cal…Je te rappell.. que je suis ……Soudain les bruits et la lumière s’arrêtent. –Putain cette foi c’est les plombs qui ont sautés. Si le gros arrive maintenant il va nous passer un put.. de savon. -Bouge pas je suis au tableau électrique, je remets le jus.-Allé on se grouille. On recommence la tambouille : Tu mets le mélange sucre et opium dans le réacteur, tu fermes et lance la chauffe. Température visée 132°C avec une pression de 2.5 bars. Quand c’est atteint tu injectes 10 ml d’acide nitrique toutes les vingt secondes. La pression ne doit pas dépasser les trois bars. La température peut varier entre 128 et 132 °C. Quand les trois litres d’acides sont consommés on laisse refroidir à 50°C.On vide le réacteur dans le ballon à distiller on fait le vide à 0.3 bars en chauffant à 95°C pendant quarante minutes. Lorsqu’il ne reste plus que la poudre blanche après l’évaporation de l’eau résiduelle on stoppe tout. Ca refroidi tranquille et la pression revient à la normale. Là masque à poussière, lunette, gants et on récupère la blanche que l’on met dans des sachets plastique. On pèse le total, les autres se chargeront de détailler.
Le gros était accroupi depuis deux heures trente derrière cette porte immense à observer les deux guignols à l’intérieur. Maintenant que le boulot était fini il pouvait se lever lentement et s’étirer. Ce n’est plus de son âge de rester des plombes dans des positions incongrues. En empoignant son Parabellum Magnum assorti d’un silencieux, il a un sourire aux lèvres. Sourire amer, un rictus. Il vise la serrure et tire puis défonce la porte d’un grand coup de pied. En pénétrant dans le laboratoire, il voit les deux gars se liquéfier de surprise mais ils n’ont pas le temps d’avoir peur. Deux coups de feu les atteignent en plein front dans l’espace de trois secondes et ils s’écroulent sur le sol. Le gros s’assoit sur un tabouret et regarde ses deux employés tassés sur le vieux carrelage leurs têtes ensanglantées. Il leurs parle alors comme à des enfants ou à des animaux de compagnie, gentiment. –Alors les charlots vous n’êtes vraiment bon à rien. Ça fait une semaine que j’attends la came. Vous m’avez fait dépenser un pognon fou à cause de votre incompétence. La prochaine fois vous réfléchirez plus vite. La dessus il prend un sachet, l’entrouvre, trempe son doigt et le met dans sa bouche. Elle est pas mal, les charlots, dommage. Après avoir récupéré son sac à dos, il y fourre les sachets de drogue, range son flingue, coupe l’électricité au compteur, pousse la porte et s’en va.
Patrick O

Commentaires