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Retrouver l'ami oublié


L’homme est grand, la silhouette mince , en lui tout est sombre, les vêtements, les cheveux, les yeux ; cependant son visage est très pâle et ce contraste puissant lui confère un aspect mystérieux, un peu inquiétant. Il est de ceux qui ont la beauté grave et émouvante. Son regard est comme tourné vers l’intérieur, il ne prête pas attention à ce qui l’entoure ; ni le bruit,


ni la fumée ne peuvent l’atteindre, pas même la jeune femme affairée à dessiner un croquis qui semble ne jamais la satisfaire.

Pourtant c’est pour elle qu’il s’apprête à franchir la porte et le pas ; de toute son existence, il n’a jamais rien ressenti de tel, cette émotion si forte lorsqu’il est à son côté qu’il en oublie sa condition. Oui cette humanité, il la désire plus que tout.

D’ailleurs, ne lui a-t-elle pas dit un jour : fais ce que tu dois faire, je saurai attendre.

Alors ce soir, il ne peut être détourné de son dessein, ce qu’il se dispose à accomplir est impératif.

Il sort rapidement et se dirige vers sa voiture. Il est happé par l’avenue ; d’autres véhicules le suivent ou le croisent, puis peu à peu le trafic se fait plus rare ; la campagne commence à prendre possession du paysage.

L’heure tardive ne lui renvoie que des ombres d’arbres, de collines et cette fantasmagorie lui fait écho : n’est-il pas autre chose qu’un fantôme en quête d’une vie d’homme ? Quel âge a t-il ? Il commence à perdre le compte des années et il en a assez, il veut maintenant être bien ancré dans cette terre qu’il a appris à aimer, il veut en faire partie et se sentir humain.

Le mur d’enceinte de la bâtisse se profile, il le longe doucement jusqu’à la grille, haute, protectrice ; elle s’ouvre, il la franchit et s’engage dans l’allée menant à la porte d’entrée. C’est un manoir compact, obscur, avec ça et là des ouvertures de lumière comme pour le rassurer et lui permettre de passer le seuil (lui qui était étranger à la peur jusqu’alors ! le processus commencerait-il déjà ?).

Il entre, il était attendu. Deux jeunes femmes vêtues de blanc l’accueillent, lui sourient et le prennent par le bras pour l’encourager. Tous les trois suivent un long couloir et l’opposition entre son apparence ténébreuse, la tenue immaculée des infirmières et la couleur sable des murs attirerait le regard d’un éventuel observateur.

Il touche au but, la fin de son errance et son recommencement et veut prier (mais quel Dieu peut-il implorer ?) pour que tel un Phénix le renouveau d’une autre vie s’offre à lui. Il entre dans une salle, la lumière crue l’agresse ; le médecin attend ; il entrevoit sur le côté les poches rouge vif de ce sang artificiel qui va lui permettre de redevenir ce qu’il était il y a bien longtemps. Ne plus avoir à voler le sang des autres et leur vie pour préserver la sienne. Il va enfin pouvoir exister ici-bas. Cette perspective lui insuffle le courage de s’allonger sur la table. L’éternité ne l’intéresse plus, il en a fait le tour.

Il a erré longtemps avant que cette possibilité s’offre à lui mais l’avantage d’être immortel c’est de pouvoir profiter des avancées scientifiques.

Il a été de toutes les époques, a fait partie de toutes les sphères de la société, en a aimé certaines plus que d’autres. Il est passé au fil des décennies du gueux au prince le plus titré et a savouré à chaque fois ce que cela lui apportait. Une richesse infinie, une âme. Il se souvient qu’il a même mené des combats, glorieux ou perdus d’avance ; le siège de Grenade lui laissa un souvenir douloureux, une lance faillit lui transpercer le cœur. Des femmes, il en a connues beaucoup, la passion parfois s’est invitée, il n’a jamais rien refusé. Avec Elina, il veut construire, il veut la rendre heureuse.

Vampire, le mot sonne faux pour lui maintenant, on n’est plus dans les films kitch des années soixante ; il est moderne, il a les canines bien alignées, bien régulières et n’a pas besoin de les planter dans la gorge d’une belle jeune fille pour exister. Il se sert dans les banques de sang ; c’est épuisant et il ne veut pas se transformer en assassin quand le besoin pour lui est vital ; mais il prive tout de même des personnes de ce fluide capital et il ne l’a jamais supporté. C’est pour cela aussi qu’il va tenter l’expérience.

On lui a parlé des recherches de ce médecin qui travaille en secret à la découverte de ce sang artificiel. Un homme qui œuvre avec son équipe à la conception du fluide universel. Finis les groupes et les rhésus. Un ami a qui il a confié ses désirs a joué les intermédiaires. Evidemment le chercheur ne pouvait qu’être intéressé par son cas !

Il émerge doucement du néant où il était plongé et reprend conscience de sa réalité. Va-t-il se réveiller de sa nuit trop lourde qu’il n’acceptait plus ? Le médecin l’a prévenu, c’est une expérience jamais tentée qui peut vous mener vers votre libération ou votre mort définitive cette fois-ci. Ce prix il l’avait accepté.

Il se sent bien et retrouve des sensations oubliées depuis longtemps ; c’est le début de ma nouvelle vie ?

Le médecin a été formel, c’est réussi, je cours vers le Nobel et vous vers votre renaissance.

Des larmes viennent lui confirmer son nouvel état, il va pouvoir vivre, aimer et vieillir ; mais pour l’heure il n’a qu’un désir, refaire le chemin à l’envers vers la salle enfumée , retrouver Elina, l’arracher à ses tentatives de dessinatrice et ressortir de là ensemble pour suivre leur chemin.



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